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Sandrine Demers

Je ne pleure plus la montée des eaux


Le vent tresse mes cheveux en queue de poisson

Le fleuve se dénude

Je me sens pudique

Les rochers percent mes côtes

J’ai la marée basse dans mes chaussettes

Les mamelons pointant aux larges tels des gardes côtiers

Que de l’écume sur mon corps largué

Je me sens transpercé par un vide plus grand que mes rêves et ma faim

Du haut de la falaise

Je le vois se dévêtir de ses eaux

D’une aisance sans fin munie d’un fond

Une sensualité qui fait dresser le poil jusqu’au ciel, jusqu’à la lune

Ses courbes somptueuses me donnent la moue

J’y accosterais volontiers dans le creux de ses baies dans des jours meilleurs et des nuits houleuses

Les galets se dorent

Ma peau ne peut plus sourire ou dire je t’aime

Mes désirs nomades dérivent avec le courant et les mirages saisonniers

Tous sur la même barque

Un naufrage en déshydratation

Le vent souffle sur les bougies des phares

Maintenant plus de lumière

Plus de vagues frisquettes ou de nappe d’huile

Je me sens délaissée

Le fleuve ne pleure plus

Le fleuve ne boit plus

Le fleuve est à jeun

Le fleuve est muni d’une fringale creuse

Le fleuve me rend triste comme une maison inhabitée

Le fleuve m’est infidèle et j’ai la frousse

La frousse qu’il se fasse houler la vague dans un ailleurs plus beau qu’ici

Un ailleurs moins sombre

Un ailleurs plein de soleils en catamaran et de cœurs en catimini

Un ailleurs loin de moi et de mon corps démuni

Le fleuve ne m’est plus utile

Il ne m’inspire plus la plume ni la peau

Il permet seulement d’abreuver mes sanglots

Il se permet de me montrer sa nudité dans sa couverture de lin et de vanité

Je suis scandalisée

Le fleuve me rend triste

Le fleuve me désappointe sur la pointe des pieds

Je pointe désormais le regard vers des étendues plus loyales et moins chauves d’amour brut


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